De Marion Cotillard à Jean Rochefort, un beau casting pour les voix du film « Avril et le monde truqué »

Image extraite du film Avril et le monde truqué.
© 2015 Studio Canal

Après avoir participé au projet de l’adaptation cinématographique de la célèbre BD Adèle Blanc-Sec, l’auteur et illustrateur Jacques Tardi parvient à transposer son univers graphique dans un film d’animation intitulé Avril et le monde truqué.

Pour vous, le passage au dessin animé avec AVRIL ET LE MONDE TRUQUÉ votre travail graphique, et votre travail d’auteur – puisque vous avez suggéré des idées aux scénaristes – adapté plus fidèlement à l’écran ?

Bien sûr, dans la mesure où l’on reste au niveau du graphisme, sans passer par la réinterprétation du personnage ni par le casting d’une actrice qui ne pourra pas ressembler à l’héroïne que vous avez dessinée. Ceci dit, dans Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-sec, Luc Besson avait quand même eu recours à des maquillages et des fausses oreilles pour grimer les personnages secondaires et les rendre assez conformes aux personnages originaux. Ça, c’était assez réussi.

Justement, comment est née l’idée magique du « paquebot » suspendu à des câbles qu’empruntent les parents d’Avril dans leur fuite ? Êtes-vous fasciné par les véhicules prototypes souvent extravagants qui ont réellement existé dans le passé, à toutes les époques ?

Je veux préciser que c’est Benjamin Legrand qui a inventé cette liaison Paris-Berlin par téléphérique, avec une double Tour Eiffel servant de terminus/gare dans la capitale. La Tour Eiffel, nous l’avons sous les yeux, mais le téléphérique, il a fallu l’inventer. J’ai donc feuilleté des vieux numéros de La Science et la Vie datant du début du siècle où j’ai trouvé les descriptions de nombreux engins prototypes fascinants. À partir de là, j’avais à disposition des formes et des schémas de fonctionnement de machines à vapeur ou bien mues par d’autres systèmes. Mon objectif étant que le fonctionnement du téléphérique soit crédible. Il fallait qu’il marche à la vapeur, que ses mécanismes puissent faire tourner des roues à partir d’entraînements ressemblant à des chaînes de vélo, que tout cela avance sur des rails et crémaillères, avec des roues dentelées, etc. J’ai travaillé assez longtemps pour arriver à le rendre réaliste. Et même si l’on ne voit pas comment ils marchent, j’ai imaginé aussi ses mécanismes internes. Je pense que le téléphérique fonctionne bien dans le film, et que l’on y croit.

En dehors de « La Science et la Vie », quelles ont été vos autres sources d’inspiration ? Les magazines américains comme « Popular Mechanics » qui a souvent consacré ses couvertures à des projets de véhicules roulants ou volants qui semblaient sortis de romans de science-fiction ?

Non, j’ai utilisé uniquement des sources françaises. Dans le domaine de la fiction, j’ai été inspiré par les illustrations de Robida, qui avait imaginé des embouteillages de véhicules volants et de dirigeables dans le ciel de Paris, avec des plateformes d’atterrissage installées un peu partout sur les toits. C’est ce qui m’a donné l’idée du ballon utilisé par les policiers pour scruter ce qui se passe au sol. Les dessins de Robida m’ont intéressé parce qu’ils sont utopiques et appartiennent au domaine du rêve et de l’humour, et que le but d’un dessin animé est aussi de faire rêver et d’amuser.

Est-ce que certains héros « classiques » de la bande dessinée trouvent quand même grâce à vos yeux ? Je sais que vous aimez notamment « Les aventures de Blake et Mortimer », et l’œuvre d’Edgar P Jacobs…

Moi, ce que j’aimais chez Jacobs, c’était son dessin. Ses deux personnages, le scientifique et le militaire, ne m’intéressaient pas beaucoup. Mais son graphisme et les ambiances qu’il créait étaient formidables. Ensuite, par réaction à ces héros très formatés, il y en a eu d’autres comme Corto Maltese, qui étaient complètement à l’opposé. Je n’évoquerai pas les super-héros américains… même si je peux regarder et me surprendre à lire des comics de ce type parce que le graphisme va m’attirer. Par exemple, j’aime beaucoup le dessin de Milton Caniff, mais vous imaginez bien que ses histoires d’aviateurs dans Steve Canyon ne me passionnent absolument pas. D’ailleurs, je ne suis pas un grand consommateur de bande dessinée.

Par le passé, la science était considérée comme la lumière qui éclairait les ténèbres, comme la source d’un futur radieux jalonné de progrès accessibles à tous. Puis elle a permis de fabriquer des armes de guerre terribles, et depuis les années 1970, les processus industriels liés à la pollution, aux manipulations génétiques, et à l’exploitation intensive des matières premières ont terni cette belle image. Ces dérives de la science sont caricaturées avec drôlerie dans « Avril et le monde truqué »…

Pour critiquer la science, il faut rappeler qu’il y a d’un côté la pénicilline et de l’autre la bombe atomique… Cela va nous ouvrir la porte du laboratoire du savant fou, un archétype qui a été maintes fois exploité, de Jules Verne jusqu’aux auteurs contemporains, parce qu’il fait peur. Il dispose grâce à la science de moyens qu’il est le seul à maîtriser, et bien souvent, il veut dominer le monde. Ce savant qui est un expert, qui manipule des éprouvettes, et qui a un plan délirant ne peut être intéressant que s’il a de mauvaises intentions. On peut constater qu’il y a relativement peu de savants qui se sont fixés pour mission de résoudre le problème de la famine dans le monde, par exemple, alors que des centaines de milliers de scientifiques travaillent sur de nouveaux modèles d’armes… Et puis comme disait Hitchcock : « Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film. »

Même si vous avez été très impliqué dans le film au début du projet, et que vous avez participé à de nombreuses étapes de sa fabrication, arrivez-vous à avoir un peu de recul et à en être le spectateur ? Qu’avez-vous ressenti en le découvrant enfin achevé ?

J’avoue que j’ai été assez surpris et content. Je n’avais vu auparavant qu’un bout à bout avec des scènes en cours d’animation ou manquantes, mais j’ai trouvé que le film achevé était réussi, et j’ai découvert avec plaisir beaucoup de choses qui avaient été conçues directement par l’équipe. J’ai retrouvé mon dessin, réinterprété par Christian Desmares, qui a été co-réalisateur et chef animateur, et j’ai regardé cela avec attention, en étant ravi de constater que cela marchait bien. Cela a vraiment été une agréable surprise. Je trouve que « Je suis bien content » porte bien son nom et a su tenir le coup pendant six ans pour faire aboutir le projet comme il le fallait.

Je ne crois pas que j’aurais pu avoir une telle ténacité et c’est la raison pour laquelle je suis satisfait d’œuvrer dans le domaine de la bande dessinée, où je peux travailler seul, sans avoir d’autorisation à demander à personne, en me servant seulement d’une gomme et d’un crayon pour raconter mes histoires. Je peux faire sauter tous les ponts et faire dérailler toutes les locomotives à ma guise, sans faire exploser le budget ! Je n’ai pas besoin de financements énormes, et je me sens complètement libre. Évidemment, ce moyen d’expression sur papier a ses limites : il est très difficile de faire passer les sentiments, par exemple, alors qu’un acteur ou une actrice de talent saura les exprimer au cinéma. Et il n’y a pas non plus de bande son. Mais l’avantage est que le texte est écrit et que le lecteur peut à tout moment revenir en arrière pour relire un passage qui lui a échappé, tout en restant dans la continuité de la découverte de l’histoire. La bande dessinée laisse aussi le choix du rythme de lecture du récit. Au cinéma, si vous avez oublié un nom ou raté un détail, cela peut vous gêner pendant tout le reste de la séance. Bien sûr, le problème ne se pose pas si vous regardez un DVD ou un Blu-ray, mais il vaut quand même mieux découvrir les films en salles !

Oui, car c’est le lieu du partage des émotions et des rires.

J’ai été justement très content de voir comment la salle se comportait lors de la première projection publique du film, pendant le festival d’animation d’Annecy. Les réactions étaient bonnes. Et ce contact unique avec le public, vous ne le vivez jamais avec la bande dessinée, qui est un travail solitaire.

De quels personnages du film vous sentez-vous le plus proche ?

D’Avril, bien sûr, qui est la petite sœur d’Adèle Banc-Sec… Et aussi de Pops, le grand-père qui est un savant fou, mais qui a un « bon fond » !

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