INTERVIEW. « Interdit aux chiens et aux Italiens est un témoignage de ce qu’a vécu ma famille »

Image extraite du film "Interdit aux chiens et aux Italiens"
© Gebeka Films

C’est LE film en pâte à modeler et stop motion de ce début d’année 2023. Alain Ughetto, le réalisateur d’Interdit aux chiens et aux Italiens, nous dévoile les secrets de fabrication de son nouveau film d’animation. Rencontre.

Interdit aux chiens et aux Italiens est un film à la fois intime et personnel. Pour le réaliser, vous avez effectué un long travail de mémoire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En France, j’ai collecté les témoignages des cousins, des frères et sœurs, ainsi que de tous ceux qui avaient connu Luigi et Cesira. Dans cette mémoire, leur parcours apparaît dans sa chronologie. En Italie, j’ai trouvé des témoignages (enregistrés par un sociologue italien, Nuto Revelli) de paysans et de paysannes du même âge que mes grands-parents et qui vivaient dans la même région. Ils parlent de la misère, des guerres avec leurs mots à eux et avec une grande dignité.

Votre grand-mère, Cesira, est au cœur de votre film, n’est-ce pas ?

Oui, j’ai un souvenir d’elle qui coupait la croûte du gruyère, la mettait à cuire sur la gazinière. Quand le fromage cuisait, qu’il faisait des bulles, elle me le donnait. Je savourais cette croûte dans les yeux de ma grand-mère. Je revois encore son sourire, ce bonheur de donner. Comme un hommage, j’ai pensé à ce geste généreux tout au long du tournage du film.

Image extraite du film "Interdit aux chiens et aux Italiens"
© Gebeka Films

L’immigration italienne est un sujet peu abordé au cinéma, et encore moins dans les films d’animation. Comment avez-vous fait pour que ça parle aussi bien aux adultes qu’aux enfants ?

J’ai essayé d’être le plus proche d’eux, et plutôt que de faire un film entièrement tourné vers les migrations, j’ai essayé d’en faire un film d’amour dédié à ma grand-mère et aussi à toute ma famille.

Les décors ont été conçus à partir d’objets que vous avez ramassés à Ughettera. Pouvez-vous nous en dire plus ?

De leur travail de paysan, à Ugheterra, il ne reste que des ruines. Autour de leur activité de charbonnier, les arbres ont repoussé et d’eux, il ne reste plus rien. J’ai ramassé ce qui faisait le quotidien de leur vie : terre, charbon de bois, brocolis, citrouilles, châtaignes… Une fois revenu dans mon atelier, avec tous ces éléments, j’ai construit un décor. Le charbon de bois est devenu montagne, les brocolis deviennent des arbres, les châtaignes des restanques, etc. Dans ce décor, mes ancêtres pouvaient à nouveau revivre, le bricoleur pouvait raconter leur histoire depuis son atelier.

Image extraite du film "Interdit aux chiens et aux Italiens"
© Gebeka Films

Les tunnels, les ponts ou encore les barrages, toutes ces infrastructures sont omniprésentes dans le film. Pourquoi ce choix ?

Ils passaient de la construction d’un barrage à un autre, c’était la réalité de leur travail, les travaux publics. Nous, les enfants, nous les suivions de chantier en chantier. Les barrages, les routes, les tunnels, toutes les infrastructures qui existent encore aujourd’hui, c’est en grande partie à eux qu’on les doit.

Comment les personnages ont-ils été imaginés, puis fabriqués ?

J’avais fait des essais de têtes en pâte à modeler, puis Davis Roussel (chargé des marionnettes, NDLR) les a affinées. Je voulais qu’ils aient des yeux bien ouverts, des yeux qui découvrent de nouveau paysages, de nouveau lieux. Les personnages ne vieillissent pas, Luigi a un chapeau, mais les tous les Italiens ont des moustaches et des casquettes et les Français pas de moustaches et des bérets.

Image extraite du film "Interdit aux chiens et aux Italiens"
© Gebeka Films

Avez-vous des anecdotes de tournage à partager avec nous ?

Dans le studio, il y avait une pièce appelée « hôpital ». C’est là que l’on resserre les articulations des figurines, où on change leurs habits… J’y suis allé une première fois, j’ai vu ma grand-mère Cesira les jambes en l’air, la robe sur sa tête et un tournevis planté dans son corps. J’ai eu mal pour elle. C’est une pièce où j’évitais d’aller.

Un mot pour la fin ?

Ce film est un témoignage de ce qu’on vécu mes grand-parents et ma famille, un témoignage à destination de mes enfants d’abord puis de toutes les générations qui nous suivent. Luigi et Cesira ont vécu trois guerres, une épidémie de grippe espagnole qui a fait plus de morts que la guerre mais ils ont résisté, ils sont restés debout, dignes et fiers, je suis à mon tour fier d’appartenir à cette famille.

Image extraite du film "Interdit aux chiens et aux Italiens"
© Gebeka Films

Interdit aux chiens et aux Italiens est à découvrir au cinéma à partir du 25 janvier 2023.

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